Le Voleur de Bagdad
de Berger, Powell, Whelan (book in French)
by Emile Breton
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Né de la volonté d’Alexander Korda, Le Voleur de Bagdad n’en est pas moins fortement marqué par la « griffe » de Michael Powell. Tous deux hommes de spectacle – ils faisaient les films pour le public et n’ont jamais manqué, l’un comme l’autre, de dire qu’une œuvre n’existait vraiment que lorsqu’elle rencontrait ceux à qui elle était destinée – ils savaient que le cinéma est une création collective. Et ils faisaient entièrement confiance à ceux avec qui ils travaillaient. « Personnellement, écrit Powell dans Une vie dans le cinéma, je n’arrive pas à comprendre pourquoi certains réalisateurs tiennent absolument à exercer un pouvoir absolu. Ils perdent la moitié du plaisir qu’on prend à faire un film. » C’est qu’ils avaient, Korda comme Powell, une assez haute idée de leur capacité à savoir, dès le départ, ce qu’ils voulaient faire passer dans le film sur lequel ils travaillaient pour ne pas se perdre dans des besognes qui ne leur incombaient pas. On a vu avec quel soin Korda s’était entouré, à la London Film, de gens sur lesquels il pouvait compter pour « mettre en musique » la chanson qu’il avait en tête, de son frère Vincent, peintre dont l’apport allait être déterminant dans le traitement – admirable – de la couleur pour le film, au scénariste Lajos Biro ou au musicien Miklos Rozsa qu’il connaissait depuis sa jeunesse hongroise. Et, peut-être inspiré par cet exemple, Michael Powell, tout au long de sa carrière qui n’en était alorsqu’à ses débuts eut pour premier soin de chercher qui conviendrait le mieux et à quelle place pour chacun de ses films. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que coexistent dans Le Voleur de Bagdad – coexistence particulièrement heureuse et sans heurts – le grand film d’aventures, inspiré du premier Voleur américain et de maints épisodes des Mille et Une Nuits, voulu par Korda et un autre film, plus secret, dans lequel percent quelques-unes des obsessions qu’on allait retrouver tout aulong de l’œuvre de Powell. La première et la plus forte de ces obsessions, étant celle du « voyeurisme », forcément lié aux fondements mêmes du cinéma. On allait, vingt ans plus tard, la retrouver avec son maximum d’intensité dramatique dans le film justement nommé Le Voyeur (Peeping Tom) où un fanatique de cinéma et d’émotions fortes, invente une caméra qui lui permet tout à la fois d’assassiner ses victimes – cet appareil étant pourvu d’un pied acéré comme une épée – et de filmer leurs derniers instants d’effroi. C’est naturellement sur un mode beaucoup moins terrifiant, celui de l’importance du regard, que ce thème traverse ici le film. C’est que pour le cinéaste, comme le rappelle Bertrand Tavernier dans la préface du livre déjà cité, « le cinéma est une création visuelle, organisée, pensée par un metteur en scène ». Et il en était sans doute déjà assez persuadé pour vouloir l’inscrire – visuellement, bien sûr – comme en exergue au second des grands films, et au premier des grands spectacles qu’il était autorisé à codiriger. Quand on sait que c’est lui et lui seul, qui dirigea, en Cornouailles, les extérieurs de la séquence d’ouverture sur l’arrivée du navire du « méchant » Jaffar dans le port de Basra, il est difficile de ne pas voir comme un manifeste, dans l’image de cet œil ouvert peint à la proue qu’on voit grandir jusqu’à ce qu’il occupe tout l’écran, en un lent et irrésistible travelling avant. Michael Powell, dans ses mémoires, a beau plaisanter joliment sur cette trouvaille, racontant qu’il demanda à Vincent Korda de faire peindre un œil à l’avant du navire, et qu’à la question de celui-ci : « Quel genre d’œil ? », il répondit « Un œil grand ouvert. Il faut bien qu’ils voient où ils vont », il reste que cette entrée dans le film joue le rôle d’un avertissement au spectateur d’avoir précisément à « ouvrir l’œil ». Et ce n’est pas là un simple « jeu d’image », une coquetterie d’auteur tenant à marquer son territoire, mais la mise en place d’un thème véritablement récurrent, comme l’ouverture d’un opéra annonce ce qui va suivre. En effet, le récit lui-même, venant en flash-back est introduit par le récit d’Ahmad, le mendiant aveugle, dont on ne sait pas encore qu’il est le jeune prince accablé de cette infirmité par le fourbe magicien Jaffar. Lequel Jaffar, caché derrière un rideau – et qui a, lui, bien reconnu sa victime ignorante – épie la scène dans une situation de voyeur-non-vu, qui sera la sienne en maintes autres occasions dans le film, notamment dans la séquence 30, lorsque la princesse dit à son père qu’elle ne veut pas l’épouser.
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