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Le Voleur de bicyclette

de Vittorio De Sica (book in French)

by Alain Bergala and Nathalie Bourgeois

Type
Studies
Subject
One FilmBicycle Thieves
Keywords
Vittorio de Sica
Publishing Date
2001 (out of print or limited circulation)
Publisher
Les Enfants de cinéma
Collection
Cahier de notes sur...
Language
French
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Physical desc.
Paperback • 36 pages
7 ½ x 10 ¾ inches (19 x 27 cm)
ISBN
-
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Book Presentation:
Le temps modifie de façon imprévisible la perception des films. Le Voleur debicyclette a été longtemps embaumé comme jalon historique du néoréalisme et il était difficile de le revoir autrement que « surcadré » par un savoir un peu gelé sur l’esthétique de ce mouvement. Un film emblématique de quelques positions bien connues : tournage dans la rue, en décors naturels, avec des non-acteurs, scénario minimal sur background social et historique de la Rome des pauvres dans l’après-guerre. Le Voleur de bicyclette est évidemment tout cela, qui a déjà été écrit et analysé cent fois, et par les plus grands, André Bazin en tête. Sauf qu’à force d’être convoqué comme exemple, ce film avait fini par être écrasé par son statut d’objet culturel et perdre toute vie au présent, la seule qui vaille pour un film comme pour un livre. Mais hélas pour nos pays européens, le scénario d’un homme qui est au chômage depuis deux ans et qui retrouve l’espoir d’un travail salarié est redevenu tout à fait actuel et concerne à nouveau au premier degré notre représentation du monde. Ce qui frappe, à revoir Le Voleur de bicyclette aujourd’hui, par rapport aux films contemporains qui essaient de parler du même sujet, c’est que tout est différent (les causes de la crise, le statut de ceux qui cherchent un emploi, le décor des grandes villes) mais que ce film d’il y a cinquante ans propose une hypothèse forte (et encore actuelle) sur l’état de chômeur prolongé. Cette hypothèse est devenue aujourd’hui nettement plus visible à nos yeux que pendant la longue période où ce film n’a plus été qu’un emblème.

La saisie filmique du monde
Cette hypothèse, que je vais essayer de suivre au fil du film, est la suivante : la menace majeure qui pèse sur Ricci est celle d’une perte d’identité, j’ai envie de dire plus précisément d’une dilution d’identité. La grande force du film (qui le rend tout à fait passionnant à retrouver et à revisiter) c’est que cette menace est avant tout sensible dans la saisie filmique du monde, plus que dans le scénario et le dialogue. Le rapport au monde d’une conscience troublée, en danger de déshérence, de dilution d’identité, passe d’abord par le filmage lui-même, c’est-à-dire directement dans l’expérience de la traversée du film par le spectateur. Cette menace se manifeste essentiellement de trois façons. Par une vacillation des repères symboliques : le père et le fils ne savent plus très bien où ils en sont dans les rapports de filiation (de savoir, d’autorité, de figure du surmoi). Par une vacillation des références spatiales dans sa perception du monde (qui devient siphon, labyrinthe, trompe-l’œil). Par une perte de la faculté d’accomoder sa vision sur un plan de netteté du réel, qui perd du même coup de sa stabilité : l’unitaire est sans cesse menacé de s’évanouir entre la multiplication et la division des formes et des figures. Au début du film, par cette proposition de travail qui lui est faite alors qu’il semblait avoir perdu tout espoir de retravailler un jour, Ricci semble réintégrer une identité sérieusement ébréchée par deux ans de chômage. Tout se passe dans la première scène comme s’il ne faisait plus très bien le lien entre son nom de Ricci (prononcé par l’embaucheur) et son corps abandonné à l’écart du groupe de ceux qui se battent encore pour un travail : il faut qu’un autre homme (celui qui vient le chercher et le tirer de sa léthargie) fasse la jonction entre les deux. Reste qu’il n’est pas très sûr que cette élection imprévue s’adresse bien à lui, puisqu’elle concerne le possesseur de bicyclette qu’il n’est plus très sûr d’être (la sienne est au Mont-de-Piété, dans un inter-monde où la propriété des choses devient purement virtuelle) : « Je l’ai et je ne l’ai pas » répond-il à l’embaucheur, associant pourle reste du film le restauration de sa dignité et de son identité à la possession déjà indécidable de cette fameuse bicyclette. Au Mont-de-Piété, une angoisse non fondée le prend devant ’hésitation du préposé à identifier sa bicyclette, qu’il manifeste en prenant les devants de façon un peu trop impatiente, comme si ce retard à l’identification mettait en danger sa propre identité. Un plan très inquiétant nous montre aussitôt après son regard sur le ballot contenant les draps familiaux (sans doute une pièce du trousseau transmis lors de la fondation de son couple) qui va rejoindre un amoncellement de milliers de ballots semblables où il semble impossible qu’on puisse les identifier un jour comme les siens. (On imagine en outre les connotations funèbres de cette accumulation au moment où l’on découvrait les images des amoncellements des cheveux, lunettes, vêtements, bijoux « récupérés » par les nazis à ceux qu’ils envoyaient dans les Camps).

Un vertige perceptif et symbolique
La première chose qu’il exhibe à sa femme, comme signe de sa dignité sociale retrouvée, c’est sa casquette (mais elle n’est pas vraiment encore « à lui » puisqu’il faudra que sa femme la retouche pour qu’elle lui aille). Ce qui restaure son identité, c’est ce qui est fait pour la nier, c’est-à-dire un uniforme – comme dans Le Dernier des hommes de Murnau où le portier d’hôtel continuait à porter son uniforme après avoir perdu sa fonction. Dans la rue, il soulève sa femme pour qu’elle voie « son » vestiaire, ce petit espace privé dans le lieu public de l’entreprise. Avec ce travail, Ricci a retrouvé une capacité de joie qu’il partage aussitôt avec sa femme.

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