Val Abraham de Manoel de Oliveira
L'illusion comme métier (book in French)
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Book Presentation:
Val Abraham demeure une des œuvres les plus complexes de Manoel de Oliveira. Le film est souvent considéré comme une adaptation de Madame Bovary alors qu'il s'inspire d'un roman de Bessa-Luis ; parfois il est réduit à la fascination pour son actrice principale en négligeant la question du personnage, ou encore il est désigné comme un éloge intemporel de la beauté alors qu'il repose sur une conception du temps faite d'anachronismes. Val Abraham propose une variation sur l'énigme du personnage (de film). Comme le fit Buñuel dans Cet obscur objet du désir, Oliveira a partagé le rôle principal entre deux actrices. Par ailleurs, en présentant une Ema éternellement jeune, malgré un récit couvrant plusieurs décennies, le cinéaste relie l'interrogation sur le personnage au travail sur le temps. Le film conduit à se demander ce que signifie être contemporain. Qu'est-ce qu'être présent à soi, et, à un autre niveau, à quelle époque appartenons-nous ? Cela revient à s'interroger sur la beauté dans un monde qui la réduit à des clichés ou des formules creuses. Avec ironie, et malgré la douleur liée au passage du temps, c'est à un éloge de l'illusion artistique que nous convie Oliveira. Mathias Lavin est maître de conférences en études cinématographiques à l'université de Paris 8. Il écrit régulièrement sur le cinéma (Cahiers du cinéma, Trafic, Vertigo, Décadrages notamment) et est l'auteur d'un ouvrage monographique consacré à Manoel de Oliveira (La Parole et le Lieu : le cinéma selon Manoel de Oliveira, Presses universitaires de Rennes, 2008). Il a également cofondé et codirigé la revue de littérature Action restreinte (2002-2010).
About the Author:
Mathias Lavin est maître de conférences en études cinématographiques à l'université de Paris 8. Il écrit régulièrement sur le cinéma (Cahiers du cinéma, Trafic, Vertigo, Décadrages notamment) et est l'auteur d'un ouvrage monographique consacré à Manoel de Oliveira (La Parole et le Lieu : le cinéma selon Manoel de Oliveira, Presses universitaires de Rennes, 2008). II a également cofondé et codirigé la revue de littérature Action restreinte (2002-2010).
Excerpt:
Ema, mon premier grand rôle
par Leonor Silveira
Dans mon souvenir, un peu lointain, le personnage d'Ema que j'incarnais dans Val Abraham s'est construit dans une sorte de work in progress. Il y avait d'abord l'histoire de Flaubert, que j'avais déjà lue, puis le roman de Bessa-Lufs et la façon dont elle avait adapté Madame Bovary à la réalité portugaise. Puis, une fois le film commencé, j'ai pu habiter mon rôle progressivement, grâce à l'ambiance si particulière qui régnait à Regua où nous tournions, à la présence des autres acteurs et à la façon dont Manoel nous dirigeait. Le tournage était assez long, il a duré près de quatre mois je crois, ce qui m'a donné le temps de grandir avec mon personnage. Dans Val Abraham, on suit la destinée d'Ema jusqu'à sa mort. Je devais l'incarner jeune fille puis mère de famille, sur une durée d'au moins vingt ans, et cette évolution m'a permis de l'accompagner. J'avais l'impression de vieillir avec elle. Une sorte de métamorphose s'est faite en moi de façon évidente, comme un processus naturel, en raison de la richesse du personnage qui m'était offert. J'ai mûri, j'ai eu le temps de comprendre Ema de mieux en mieux au cours de la réalisation du film.
Je suis persuadée que les lieux où nous tournions m'ont beaucoup aidée pendant ce processus. Aujourd'hui encore, je pense que, sur un tournage, les lieux ont une grande importance. L'espace autour de nous, la présence de l'air, le temps qu'il fait, tous (...)
«Je ne suis pas une Bovary»
De quoi se compose le souvenir de Val Abraham ? De paysages majestueux, qu'une comparaison trop pressée qualifierait volontiers de paradisiaques si l'on n'y constatait, dans le même temps, le visible travail de l'homme propre à la région viticole du Douro ; de visages, celui de l'héroïne en premier lieu, mais aussi ceux de ses différents séducteurs, ou des domestiques plus ou moins ironiques, qui gravitent autour d'eux; ou encore d'une lumière parfois terne, caractéristique d'une région au climat plus éprouvant que ne le laissent supposer les clichés touristiques. Tout en assumant le caractère subjectif de cette rapide sélection, je ne crois pas trahir une vision partagée par nombre de spectateurs du film. Ema est en effet jouée par deux actrices - j'y reviendrai plus en détail. L'héroïne se prénomme Ema, avec un seul «M», et, à l'un de ses interlocuteurs, elle déclare : «Je ne suis pas une Bovary», afin de couper court aux médisances que lui vaut sa conduite trop libre dans la société bourgeoise où elle évolue et qui lui a accolé le surnom de «bovarinha» (petite Bovary, bovaryette). Même en considérant cette phrase comme une parfaite dénégation, il faut rappeler une évidence : en dépit des raccourcis journalistiques qui se sont imposés dès la sortie du film, Val Abraham n'est pas une adaptation de Madame Bovary. Ou, plus précisément, on a tout à gagner à ne pas restreindre l'approche du film à cette comparaison exclusive, et d'ailleurs inexacte.
(...)
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