Etaix dessine Tati
Portrait d'une collaboration (book in French)
by Francis Ramirez and Christian Rolot
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Book Presentation:
De 1954 à 1956, Jacques Tati prépare Mon oncle. Pour son troisième long métrage, il réunit autour de lui quelques fidèles des Vacances de Monsieur Hulot ou de Jour de fête. Entre aussi dans l'équipe un inconnu de vingt-sept ans, Pierre Étaix. Sous la houlette de Tati, il cherche tout le jour, ainsi qu'une bonne partie de la nuit, comme ceux dont le travail est la raison d'espérer, des idées comiques. Il est, en fait, ce que la grande tradition du burlesque américain appelait un gagman, c'est-à-dire un prospecteur de gags. Situation de rêve pour un jeune homme qui allait consacrer sa vie à l'art comique. Or Étaix, s'il sait écrire, n'est pas un homme d'écriture. Il est, en revanche, un dessinateur exceptionnellement doué. Un gag n'est pas une histoire drôle. Raconté, expliqué, il n'est le plus souvent que le dérisoire mécanisme d'une scène sans vie. Mais dessiné, mais construit en trois croquis, il prend des couleurs, il s'anime. Mieux ; il peut faire rire. Jour après jour, pendant toute la préparation et le tournage de Mon oncle, Pierre Étaix fera ainsi pour Jacques Tati des milliers de dessins, arrachant de ses calepins des silhouettes drolatiques, des projets de décors, des épures de gags, des mises au point de personnages. Du beau dessin élaboré au croqueton, percutant, ces feuilles de route d'un grand film n'ont pas été perdues. Par miracle, Pierre Étaix les a préservées de la destruction, témoignage de la belle aventure d'un film saisi au plus près de sa source. C'est cet arrière-monde du film que le livre présente. Mais il voudrait le faire sans que des idées basses en polluent le projet. Les dessins sont d'Étaix, le film est de Tati, Comment dire ces choses simples et complexes à la fois ? Nous l'avons tenté à travers ce titre sobre : Étaix dessine Tati. Étaix et Tati, Tati et Étaix, il fallait bien qu'un jour les noms des deux cinéastes qui perpétuèrent en France la plus haute tradition comique fussent réunis dans un même livre. Avec ce bouquet de dessins et de croquis, avec cette belle moisson de gags en herbe ce sera chose faite.
About the authors:
Francis Ramirez et Christian Rolot, maître de conférences à la Sorbonne Nouvelle-Paris III et professeur à l'université Montpellier III, enseignent l'histoire du cinéma comique burlesque dont ils sont spécialistes. Comptant également parmi les meilleurs connaisseurs des arts traditionnels du Maroc, ils ont publié aux éditions ACR : Tapis et tissages du Maroc, une écriture du silence (1995), Arts et traditions du Maroc, introduction à l'esthétique des arts traditionnels (1998), Jean Cocteau, l'œil architecte (2000), Bijoux du Maroc, la beauté des diables (2002) et Meknès, ville impériale, histoire d'une mélancolie (2004).
Excerpt:
Extrait de l'avant-propos :
Dans Ceux de chez nous, Sacha Guitry rêvait d'un cinéma qui nous ferait entrer dans la fabrique des œuvres. Il s'imaginait filmer Molière écrivant puis répétant Le Misanthrope, et se voyait cueillir, tout frais sorti du sourire de sa bouche ironique, le mot d'esprit que Voltaire eût consenti pour lui. Et c'est grâce à ce désir naïf que nous avons aujourd'hui, filmées par Guitry lui-même, quelques images lumineuses de Renoir, de Monet ou encore de Rodin, becquetant ses marbres à petits coups de burin, la barbe pleine d'éclats, solitaire et royal dans l'hôtel de Biron. Collectionneur avisé, c'est-à-dire foncièrement déraisonnable dans sa quête sans fin de témoignages, de débris, de documents, de fragments descendant des grands hommes, Sacha Guitry possédait aussi un trésor de manuscrits prestigieux : Jules Renard, Flaubert, Musset, Anatole France, et Molière et Voltaire et tant d'autres étaient reçus dans ses vitrines et lui montraient comment, à travers ratures, biffures et repentirs, ils étaient parvenus au mot juste et à l'idée exacte. Cet éclairage des œuvres par-dessous s'appelle la critique génétique. Il procède d'une idée simple comme la curiosité : on arrache la plante et l'on regarde ses racines.
Assez tardivement, puisqu'il est un art jeune, le cinéma a découvert à son tour les plaisirs de la critique génétique. Depuis déjà deux siècles la littérature se régalait des corbeilles d'écrivains et broutait, avec délices, la moindre feuille de brouillon retrouvée. La peinture, en haussant l'esquisse au rang de l'œuvre, avait fait mieux encore : le croquis préparatoire, l'ébauche pleine de feu, le trait frémissant où balbutie la promesse d'un style sont depuis longtemps des valeurs sûres. Une simple signature, un texte autographe, une dédicace, un bout de nappe griffonné pendant l'ennui d'une conversation professionnelle ont leur cote. À la criée des réputations, ils trouveront toujours un amateur. Picasso le savait bien, qui, après chaque journée de tournage avec Clouzot, ramassait soigneusement le moindre bout de papier marqué par lui. C'était en 1955 aux studios de La Victorine, à Nice, où le cinéaste, avec son gros bon sens, essayait de percer le mystère du grand peintre.
Or, en ce temps-là, les films abandonnaient encore leurs restes sans que personne ou presque ne s'en souciât. Les bacs à chutes, dont le fumier de pellicule bouclée constituerait aujourd'hui un trésor, allaient à la voirie dès le film achevé. Quel collectionneur ne rêverait à présent de posséder ces rognures d'or à tout jamais perdues : un bout de plan coupé, quelques photogrammes émondés d'une grande œuvre ? Échappaient parfois à ce destin de fosse commune les scenarii, les notes d'intention, les découpages techniques et, à cause de leur cousinage avec les arts graphiques, les dessins qui préparaient les images.
En fait, les gens de cinéma restaient, dans leur majorité, des hommes préhistoriques : groupés dans la caverne autour du feu, ils mangeaient la viande et jetaient les os par-dessus leur épaule. Bien peu se doutaient qu'un jour le cercle de leurs reliefs serait le plus fidèle témoin de leur vie...
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