Le Passager
de Abbas Kiarostami (book in French)
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Book Presentation:
Lorsque Gassem entre en classe, en pleine leçon de lecture, il feint un mal aux dents pour justifier son retard alors que le spectateur en connaît le motif : le temps qu’il lui a fallu pour ranger chez lui le matériel de jeu, celui passé devant un kiosque à journaux afin d’acheter une revue de football. Alors que le visage de Gassem apparaît dans l’embrasure de la porte, déguisé conformément au personnage qu’il s’est construit pour abuser le professeur (la douleur dont le tissu enroulé autour du visage devient le signe ostentatoire), la voix de l’élève qui n’a pas interrompu sa lecture donne à cette entrée en scène une résonance particulière. L’enfant, les yeux rivés sur son livre, ne voit pas qu’il parle sur ce visage, de ce visage : « Et c’est comme s’ils fuyaient quelque chose. Une ambiance triste régnait. » Plus loin : « Kazad n’avait qu’une seule idée, s’enfuir, s’enfuir de toutes ses forces. » Le déguisement de Gassem est une première fuite. Il se fait passer pour ce qu’il n’est pas : un enfant qui a mal au dents. Cette fuite dans le rôle n’a pas une finalité ludique, pour le plaisir de tromper le professeur, car elle répond à une appréhension de la réalité. Face à son évidence, celle de son retard en classe, Gassem ruse et triche pour sauver sa peau. La manipulation ne donne pas à celui qui l’exerce le goût du pouvoir car elle s’inscrit dans une logique de survie. Plus concrètement dans Le Passager, dans la logique d’une survie du désir. Gassem ne vit le temps du film que pour une seule chose : aller voir l’équipe nationale de football jouer à Téhéran. Tel est son désir. Intervenir sur la réalité pour son propre compte, c’est se donner les moyens de satisfaire son désir, la meilleure façon pour que la réalité soit son alliée et non plus cet obstacle qui menace d’y mettre un terme. Manipuler revient à jouer avec la peau des apparences pour abuser les autres, afin de maintenir à flot un désir à fleur de peau. Gassem, comme Kazad, ne songe qu’à une seule chose : s’enfuir. Quitter l’espace familial, celui de l’école. Laisser tomber ses amis, aussi bien ceux avec qui il joue au football que son meilleur ami Akbar. Le Passager retrace l’évolution de cette idée, son cheminement dans la réalité. Gassem ne part pas contre la réalité dans laquelle il vit. Il ne s’agit pas d’une fuite négative mais d’une aspiration vers un ailleurs qu’il ne connaît pas et qui l’attire à partir d’un monde d’images : les photos des joueurs et des équipes accrochées au kiosque, celles qui ornent les murs de sa chambre, celles qu’il regarde dans la revue. Gassem sera ce passager, cet enfant qui fera la navette entre la réalité proche dans laquelle il vit et qui pour lui ne fait pas image et ces images du lointain, pour lui sans réalité. Histoire de voir de plus près de quoi elles sont faites. Une traversée du miroir, à la mesure de l’étoffe d’un rêve, afin de vérifier, de l’autre côté des images, leur coefficient de réalité.
L’attrait du lointain
Le pouvoir d’attraction de la ville, son impact dans l’imaginaire des gens qui se font des illusions sur son compte, fantasmant en ce lieu la réponse à toutes leurs attentes, est un sujet qui traverse toute l’histoire du cinéma. À commencer par L’Aurore de Murnau. Nul doute que Satyajit Ray, avec la trilogie d’Apu, a donné naissance à une forme de récit dans laquelle un film comme Le Passager vient s’inscrire. Parce que la trilogie d’Apu répond à une réalité démographique précise (l’exode rural, le repli des populations pauvres vers les villes) tout en greffant sur ce constat une aspiration plus profonde, d’une autre nature. Apu quitte la campagne pour la ville afin de poursuivre ses études. La ville est le monde du savoir, celui du livre et de l’écriture, dans le sillage de la voie tracée par le père. Dans ce passage au monde adulte qu’elle symbolise, la ville est l’expérience d’un deuil impossible, celui de l’enfance et des origines. Pour Gassem, la ville serait plutôt ce théâtre qui permet à son imaginaire de s’épanouir en toute liberté, là où la réalité environnante ne laisse plus de place à son rêve pour s’exprimer. On verra ce qu’il lui en coûtera de croire en cela. Gassem veut partir au loin mais il part pour revenir. Son voyage n’est pas définitif. Il va là-bas juste pour voir. Il s’agit d’une expérience passagère, dont la futilité apparente, au vu de son envie soudaine (pourquoi ce match plutôt qu’un autre ?) est contredite par la détermination de Gassem à vouloir en faire aussitôt la chose de sa vie, celle par où il doit absolument passer et dans laquelle toute son énergie va passer. Si voir le match est son rêve, Gassem n’est pas un rêveur. Mieux, son application à rendre son rêve possible nous montre, étape après étape, qu’il n’est plus tout à fait un enfant égaré dans l’univers de ses songes. Il sait se prendre en charge tout seul, s’affranchissant de toute tutelle (l’organisation de son voyage, son sang-froid et son aplomb en toutes circonstances face aux adultes) et il brave la loi, même s’il n’ignore pas le châtiment qu’elle va lui réserver : son cauchemar pendant le match, appréhension de ce qui l’attend concrètement à son retour au village. Gassem, par son entêtement, son intransigeance, l’égoïsme fondamental de son désir, garde ce trait de caractère dur et inflexible de l’enfant. Par définition, l’enfant est celui qui ne veut rien céder de son désir. Pour Gassem, le désir ne connaît pas de limites dans la réalité. Mieux, la réalité est pour lui l’écho narcissique d’un désir passé dans le champ de sa volonté. L’historiser, le socialiser, c’est lui apprendre qu’il n’est pas seul au monde (tenir compte des autres) et que la réalité, « au jeu du désir », n’est pas nécessairement ce théâtre enchanteur mais une possible expérience du désenchantement. Travail que Kiarostami, par le film, accomplit pour lui.
Un rendez-vous manqué
Gassem a envie de voir un match de football mais, à la lueur d’une scène des Quatre Cents Coups de Truffaut et lorsqu’on sait l’attirance d’Abbas Kiarostami pour des personnages qui lui ressemblent, il est possible d’habiller son désir du vêtement d’une autre réalité. Ali Sabzian, le faux Makhmalbaf de Close Up avait le désir d’être metteur en scène et, pour ce faire, devenait acteur en se faisant passer pour ce qu’il n’était pas. Gassem a un désir de spectateur : voir un match de football. À sa manière, il est un enfant cinéphile qui, à la tombée de la nuit, alors que toute la ville dort, quitterait la maison en cachette, billet à la main, pour se réfugier dans l’obscurité d’une salle de cinéma…
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