Une chambre en ville de Jacques Demy
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Description de l'ouvrage :
Réalisé en 1982 après une longue période de projets avortés et de commandes, Une chambre en ville est à la fois un retour aux sources pour Demy (roman de jeunesse inspiré par l'histoire de son père ; recours à la continuité chantée des Parapluies de Cherbourg) et une saillie insolite dans sa filmographie : un film d'une rare violence surnageant sa curieuse fin de carrière, faite d'audaces maladroites et de franchise décomplexée. Comme en un retour impressionnant du refoulé, le film semble laisser s'épancher l'inconscient qui jusqu'alors ne faisait que craqueler la façade vernie du Demy-monde. Cet essai a pour fil conducteur l'analyse des effets contrastés de la continuité chantée - geste démocratique puissant, jeu passionnant avec le langage et expression d'un combat désespéré contre le principe de réalité. Sans oublier la manière dont Une chambre en ville fait tenir ensemble sur une corde raide.au risque du ridicule et de l'implosion, tant d'éléments contraires (réalisme et artifice, trivialité et lyrisme, sentimentalisme et aigreur), il tente également d'apprivoiser la folie, la beauté ingrate et la profonde étrangeté de ce grand film malade, aussi doux qu'agressif.
À propos de l'auteur :
Raphaël Lefèvre est monteur, diplômé de la FEMIS et titulaire d'un Master 2 en théorie, histoire et esthétique du cinéma à l'université de Paris 8. Ancien rédacteur à Critikat, il a collaboré à L'Art du cinéma et à Revue Zinzolin, ainsi qu'à l'ouvrage Tod Browning - fameux inconnu, dirigé par Pascale Risterucci et Marcos Uzal (CinémAction, Corlet Publications, 2007).
Extrait :
Du chant avant toute chose
Mené à terme en 1982 grâce au soutien de la productrice Christine Gouze-Renal, Une chambre en ville est l'un des plus vieux projets de Jacques Demy. Cette histoire de passions amoureuses et de luttes sociales située à Nantes où il grandit, inspirée par des souvenirs d'enfance et par l'histoire de son père, prit d'abord la forme d'un roman inachevé avant de se transformer en scénario de film chanté. C'est donc l'œuvre du retour aux sources pour le cinéaste, qui, en en faisant un film entièrement chanté, reconduit l'expérience qu'il tenta près de vingt ans plus tôt avec Les Parapluies de Cherbourg (1964) et que personne, depuis, n'a osé renouveler (exception faite des adaptations de grands opéras, en vogue dans les années 1970-1980, ainsi que des Cannibales de Manoel de Oliveira, 1988, opéra composé spécialement pour l'écran). Lorsque, en 1961, Jacques Demy et Michel Legrand se lancèrent dans la concrétisation de cette idée un peu folle, les opéras du répertoire étaient, à quelques exceptions près, plutôt transposés au cinéma sans le chant - dans un premier temps pour d'évidentes impossibilités techniques, puis, sans doute, par difficultés à faire accepter la continuité chantée dans un art considéré comme le plus réaliste qui soit. En 1951 toutefois, Gian Carlo Menotti avait tourné une version cinématographique de son propre opéra, Le Médium. Demy et Legrand la visionnèrent à Londres en vue de définir la nature de leur projet. Leur intention était de se démarquer de l'opéra, où le vibrato des voix trouble généralement la compréhension des paroles, et d'atteindre un lyrisme atténué, s'approchant autant que faire se peut de la parole quotidienne. Il en résulta un film profondément original dont l'anecdote, simple et ancrée dans la réalité sociale de son temps (les amours contrariées d'une jeune vendeuse de parapluies et d'un garagiste appelé à effectuer son service en Algérie), était transfigurée par une utilisation hardie de la couleur (des décors réels repeints dans des couleurs voyantes) et de la musique (tous les dialogues chantés sur un mode mi-lyrique mi-prosaïque, abolissant la frontière entre Y air et le récitatif opératiques).
Les Parapluies de Cherbourg en dépit de certaines apparences, Une chambre en ville de manière bien plus évidente, figurent parmi les films les plus désenchantés de leur auteur. Les personnages ont l'air d'y chanter quand même, malgré la chute de l'idéal. Voir et entendre Les Parapluies se prolonger au-delà du pic émotionnel de la séparation des amoureux, après une demi-heure de bonheur pur et de désespoir absolu, était une sensation des plus curieuses. Restait une heure d'une beauté amère et décalée, qui achevait la disjonction du couple, annihilant méthodiquement, au-delà de sa cohésion, son statut d'entité identificatoire : oubli, dégrisement, apprentissage du renoncement, triomphe de la patience. Une chambre, au contraire, est travaillé par l'urgence ; chanter y est un défi - social, existentiel - de chaque instant. Mais dans aucun des deux cas, le chant ne permet vraiment la fusion avec l'autre et le monde - quête du chant romantique qui s'accomplit généralement dans la comédie musicale, qui peut se heurter, dans sa version tragique en vigueur à l'opéra, au sens de l'honneur ou à une quelconque malédiction, et qui est ici renvoyée à sa vanité par un pur principe de réalité.
Il y a une veine romanesque et anxieusement solaire chez Demy {Lola, 1961 ; Les Demoiselles de Rochefort, 1967), dont le romantisme peut appeler le chant sans le laisser régir la totalité du film. La veine assimilable au tragique, quant à elle, est entièrement chantée. Paradoxe, ces deux films étant «en chanté», et donc, suppose-t-on, enchantés ? Pas sûr : chanter, c'est nier le désenchantement du monde, mais le nier c'est aussi l'affronter continuellement, et prendre le risque d'un retour de bâton. Sans l'élan de la danse, venant donner son soutien au chant impuissant à faire plier les lois tragiques de la réalité, le désenchantement demeure. Ces films sont, à leur manière, des mélodrames, empruntant quelques motifs au genre et donnant tout son sens à l'étymologie du mot, qui signifie littéralement «drame en musique».
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Nota : Un livre sur fond légèrement grisé est un livre qui n'est plus actuellement édité ou qui peut être difficile à trouver en librairie. Le prix mentionné est celui de l'ouvrage à sa sortie, le prix sur le marché de l'occasion peut être très différent.