Une éthique du regard
Le cinéma face à la Catastrophe, d'Alain Resnais à Rithy Panh
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Description de l'ouvrage :
Comment évoquer, avec les moyens du cinéma, ce qui ne peut être représenté, la destruction des Juifs d'Europe, l'extermination des Arméniens ou l'élimination du quart de la population cambodgienne par les Khmers rouges ? Cette question est au cœur de Nuit et Brouillard, Images du monde et inscription de la guerre, En Sursis, Calendar, Ararat, Shoah et S21. Ces «films-témoins» instaurent une scène où le regard est sommé de voir qu'il n'a rien vu et que la Catastrophe reste à penser. Resnais, Farocki, Egoyan, Lanzmann et Panh adoptent certes des formes cinématographiques différentes, entre témoignage et fiction, mais, comme le démontre Sylvie Rollet dans cet essai, ils manifestent une même exigence. Ne voulant ni représenter ni réparer ce qui par définition est irreprésentable et irréparable, ils inscrivent la lacune au cœur des images. L' «éthique du regard» à laquelle ils obéissent relance inlassablement notre désir de percevoir et de comprendre l'événement, qui, de la sorte, devient imaginable.
Extrait :
Extrait de l'avant-propos
Peu de films ont, comme Nuit et brouillard (1955) d'Alain Resnais et Shoah (1985) de Claude Lanzmann, marqué à la fois un tournant historique et une révolution esthétique. En bouleversant les représentations de l'univers concentrationnaire, pour le premier, et de l'extermination des Juifs, pour le second, ils ont modifié la mémoire de l'événement qui a ébranlé les bases de la modernité occidentale. En le mettant en œuvre, ils ont révélé le pouvoir qu'a le cinéma de s'affranchir de ce qu'on nomme les limites du visible, lorsque l'écriture filmique mobilise sa capacité à rendre l'inimaginable imaginable «malgré tout». S'il n'est pas question de nier la singularité de ces deux films au destin exceptionnel, du moins semblent-ils former une constellation avec d'autres œuvres, tout aussi singulières. Images du monde et inscription de la guerre (1988) ou En sursis (2007) de Harun Farocki, Calendar (1993) ou Ararat (2002) d'Atom Egoyan, comme S21 (2002) de Rithy Panh représentent, en effet, au même titre que les films de Resnais et de Lanzmann, autant de tentatives pour donner forme, c'est-à-dire valeur et sens, au sein de la représentation filmique à l'événement catastrophique et à son invisibilité constitutive.
Par-delà la spécificité de chacun des génocides - arménien, juif ou cambodgien -, c'est à un même ébranlement de la pensée qu'ils font face. L'objet de ce livre est de cerner les contours d'une poétique filmique de la Catastrophe, à travers l'analyse des moyens dont dispose le cinéma pour affronter le défi que constitue pour la représentation l'irréalité ou la «surréalité» de l'événement. Opter pour le terme de «Catastrophe» et non pour celui de «génocide», c'est à la fois s'installer sur la scène de la pensée et opérer un déplacement : passer de la pluralité des faits, historiquement et même parfois juridiquement établis, à l'unicité de l'événement. Sur le plan des faits, dont l'établissement relève d'une construction documentée et d'un raisonnement logico-déductif, les processus génocidaires ne sont nullement impensables, du moins si l'on définit la pensée comme activité de connaissance et d'interprétation. Ce qui est impensable ou, plutôt, insensé, c'est l'événement : la catastrophe anthropologique provoquée par la volonté génocidaire de séparer l'humanité d'elle-même. Cette logique-là, dont les effets sont connaissables et, en ce sens, pensables, échappe à ce qu'on peut comprendre (c'est-à-dire, littéralement, «prendre en soi») parce qu'elle vise la déliaison du lien constitutif de l'humanité. La Catastrophe nous somme alors de «penser sans vouloir comprendre et à partir de ce refus» (Bouchereau, 1999 : 183). Cela suppose de récuser la construction d'une intelligibilité des faits et de s'ouvrir à la présence du désastre qui peut tout au plus être saisi. Affronter la puissance négative d'un événement qui défie l'enchaînement logique et qui défait les catégories spatio-temporelles de la narration et de la représentation impose ainsi au cinéma, documentaire en particulier, d'abandonner ses postulats «réalistes» pour offrir une scène à la temporalité paradoxale de l'événement - le passé-présent - en mobilisant le pouvoir de «double-vue» propre aux images cinématographiques.
Voir le site internet de l'éditeur Hermann
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