Où est la maison de mon ami ?
de Abbas Kiarostami
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Description de l'ouvrage :
« Si tout le monde cherche à connaître la Loi, dit l’homme, comment se fait-il que depuis si longtemps personne que moi ne t’ait demandé d’entrer ? » Le gardien voit que l’homme est sur sa fin et, pour atteindre son tympan mort, il lui rugit à l’oreille : « Personne que toi n’avait le droit d’entrer ici, car cette entrée n’était faite que pour toi, maintenant je pars, et je ferme.»
Franz Kafka, Le Procès
Au commencement était la détresse
Le premier court métrage de Kiarostami, Le Pain et la Rue, racontait déjà l’histoire d’un enfant en détresse. Ce premier petit garçon, prototype du héros kiarostamien, se trouvait immobilisé par un chien inconnu alors qu’il était sur le chemin du retour vers sa maison avec le pain du repas familial (l’objet de sa mission) sous le bras. Le cinéaste débutant prenait déjà tout son temps pour filmer avec beaucoup d’attention cet état de détresse, comme s’il y avait là, pour lui, une expérience fondamentale de l’enfance, dont les adultes mesurent rarement la gravité et le caractère fondateur. Ils commettent souvent l’erreur de mesurer la gravité d’une détresse enfantine à l’importance réelle, pour eux, de sa cause. Quiconque fait l’effort de se souvenir des moments d’angoisse et de terreur qu’il a connus dans sa propre enfance sait bien que ces détresses qui l’ont pourtant constitué en profondeur étaient souvent causées par des événements objectivement mineurs, voire minuscules aux yeux des adultes. Ce sera l’une des premières caractéristiques du cinéma de Kiarostami : filmer les enfants en étant extrêmement attentif à l’échelle d’intensités qui est celle de leur expérience de la vie, de leurs affects, sans jamais les mesurer à une échelle (plus tardive et hiérarchisée) qui est celle des adultes. C’est une des raisons pour lesquelles les films de Kiarostami ne sont pas des films pour enfants, mais des films sur les enfants, qui nous font partager leurs expériences de détresse, de transgression, et de peur devant les mystères incompréhensibles de l’univers. La posture du cinéaste consiste à tenir ces expériences de l’enfance pour aussi graves, sinon plus, que celles des adultes telles que les films sur les adultes essaient de nous les raconter. Vu sous cet angle, et non sous celui de l’anecdote, Où est la maison de mon ami ? est un film qui nous fait partager un éventail d’affects et d’émotions de la plus haute gravité. L’apparente minceur du scénario (un enfant a emporté par erreur le cahier de son ami et s’efforce de réparer cette erreur) cache un film où se jouent des questions aussi essentielles que celles de la Loi, du libre arbitre, de la transgression, de la solidarité, de la peur de l’inconnu, de la solitude existentielle, du sentiment du mystère cosmique de l’univers. Ce qu’a compris très tôt Kiarostami, dès son premier court métrage, c’est qu’il n’y a pas de « petit » sujet : la seule chose qui compte, c’est la qualité d’expérience que la traversée d’un film nous permet de faire. Le petit Ahmad, à la recherche de la maison de son ami, en fait une qui vaut en gravité et en intensité celle d’Antigone (opposant les exigences de sa conscience, de sa dette personnelle, à la Loi sociale), de Sisyphe (toujours prêt à repartir à l’assaut de la colline, comme le bousier de Le vent nous emportera) ou du K. de Kafka égaré dans le labyrinthe d’un monde aux lois incompréhensibles, sinon absurde où il est amené à connaître les angoisses de l’incommunicabilité et de la misère de sa propre solitude existentielle dans un monde peuplé de figures énigmatiques.
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